Monsieur lombric ou Madame lombric ?
Comme vous préférez, je possède les 2 sexes. Je porte sur moi les cellules reproductrices mâles et femelles. Hermaphrodite, comme vous dites.
Pouvez-vous vous présenter pour nos abonné.e.s ?
Je n’ai ni dents, ni yeux, ni nez mais je ne suis pas complètement aveugle : je suis sensible à la lumière.
Je partage la moitié de votre patrimoine génétique même si la ressemblance n’a rien d’évident, je vous l’accorde.
J’ai 7 ans, ce qui fait 90 ans en âge humain. Je n’ai pas été mangé comme beaucoup de mes congénères, par une taupe, un oiseau, un blaireau, un sanglier, une poule … Notre chair fait beaucoup d’envieux, beaucoup trop à mon goût !
Parmi les 5.000 espèces de vers de terre, je suis un bon gros ver commun : celui de type anécique, qui creuse des galeries en profondeurs, je suis un lombric. Ne me confondez pas avec les vers de compost qui font partie de la famille des Epigés, qui creusent des galeries horizontales et participent à la décomposition des matières.
Moi, je niche dans les profondeurs du sol. Mon terrier peut aller jusqu’à 2 mètres de profondeur et je passe mon temps à faire des allers-retours entre le sous-sol et la surface du sol en mélangeant la matière organique avec la matière minérale que je remonte du fond de mon trou.
Je retourne inlassablement le sol, l’oxygénant et le fertilisant, en digérant les matières organiques et en ramenant à la surface des nutriments indispensables aux plantes.
Vous étiez l’animal préféré de Darwin, qui vous a étudié pendant 45 ans. Mais à votre contact, on entend encore beaucoup « beurkk »
Nous, les vers, avons été admirés par Aristote, protégés par Cléopâtre et étudiés par Darwin.
Sous Cléopâtre, nous étions des animaux sacrés. Les agriculteurs ne devaient pas nous déranger pendant leurs travaux sous peine d’offenser le Dieu de la fertilité. Les Égyptiens avaient interdiction de nous retirer de la terre d’Égypte.
Mais nous avons connu des heures sombres quand vous nous avez considérés comme des ravageurs de cultures pour finalement ouvrir la porte aux pesticides et abandonner la fertilisation organique. Quel désastre !
Depuis 2016, vous avez une journée mondiale, qu’en pensez-vous ?
Une seule journée et qui ne fait pas beaucoup parler d’elle….
J’aère les sols, je limite leur érosion, et je favorise leur fertilité : je suis une aide précieuse pour les agriculteurs et les jardiniers et mériterais plus de considération.
Nous, lombriciens, sommes des indicateurs de la bonne santé des sols. Vous savez, le sol : cette fine pellicule qui s’use comme une semelle ; un sol s’use, s’épuise. Et moins il est vivant, plus il s’use !
Et malgré ce que vous croyez, nous pesons lourd, très lourd. Le lombricologue Marcel B Bouché dit que nous pesons 85% de la masse animale de France, quand Sarah Guillocheau, ingénieur d’études au laboratoire EcoBio dit que nous représentons plus de 50% de la biomasse animale terrestre en zone tempérée !
Nous pesons aussi lourds que les virus mais notre poids est ridiculement bas comparé aux bactéries. Nous pesons 10 fois moins lourds que les arthropodes (insectes, crustacés) mais 3 fois plus que les primates, dont vous, les êtres humains.
Nous jouons un rôle important dans la dégradation et le recyclage des litières et de tout résidu organique disponible dans le sol ou à sa surface. Nous créons des réseaux de galeries qui assurent un transfert et un stockage du carbone dans les sols ou de l’eau.
Rendez-vous compte, nous remuons 500 tonnes de sols par an et par hectare !
Nous sommes la colonne vertébrale des sols vivants, nous sommes des créateurs de fertilité, des laboureurs infatigables mais 80 à 90% de nos populations ont été décimées en moins de 50 ans.
En cent ans, notre population est passée de plusieurs tonnes par hectare, à seulement quelques dizaines de kilos dans les sols cultivés. Les lombrics se meurent. Et c’est une très mauvaise nouvelle pour les hommes.
Vos semblables n’ont pas conscience que nous sommes la clef de voûte de l’alimentation de demain. Les vers de terre nourrissent les sols, et les sols nourrissent les plantes qui nous nourrissent, et qui nourrissent les animaux que vous mangez. Le lombric est ainsi au cœur d’un cycle aussi essentiel que celui de l’eau : celui de la nutrition.
En somme, vous êtes l’ami du jardinier. Quelques conseils ?
Alors, aux jardiniers que vous êtes, je donne ces instructions :
* Abandonnez les outils rotatifs qui déciment les populations de lombrics. Laissez la terre au repos. Nous nous reproduisons à l’automne, pendant cette période fraiche et humide avant de retourner hiverner dès les premières gelées. Alors, pour ne pas nous perturber, mieux vaut laisser la terre au repos de septembre à novembre. Même chose au printemps, de mars à avril.
* Arrêtez les produits toxiques, les pesticides, les insecticides, les herbicides même « bio » (vinaigre, sel, eau bouillante) ; oubliez la bouillie bordelaise (du fait de sa rémanence, ce traitement est létal pour les vers de terre).
* Nourrissez nos camarades vers de terre en paillant le sol : ne laissez jamais un sol nu, surtout à l’approche de l’hiver, paillez avec des feuilles mortes, tontes de gazon, écorces de bois, branches d’arbres…etc…Nous y trouverons facilement de quoi nous nourrir et nous loger, en toute humidité…
* Enrichissez, fertilisez votre sol avec votre compost demi-mûr. Cet engrais nature et « fait maison » est un excellent moyen d’attirer les colonies de lombrics.
Je vous observe souvent du coin de l’œil : vous est muni d’un bel appétit.
Je mange tout ce qui est mangeable autour de mon trou. Nous lombriciens, sommes comme vous, des omnivores opportunistes dont le régime alimentaire est lié aux ressources du milieu.
Mais j’ai des papilles gustatives et si j’ai le choix, je choisis ma nourriture.
Je peux ingérer vingt fois mon poids au quotidien.
Je creuse des galeries en « mangeant » la terre et je fais le tri de ce qui est comestible dans mon tube digestif avant de rejeter la terre derrière moi.
Je participe ainsi activement à l’aération et l’hydratation du sol et mes déjections sont un bienfait pour la terre.
J’accumule un garde-manger dans mon terrier tout en créant un climat favorable à la digestion de cette matière organique par les micro-organismes.
Mais comment faites-vous pour respirer sous la terre ?
Je respire… de l’air !
Mais je n’ai ni poumons, ni branchies, l’air circule sur ma peau, je respire par la peau.
Ma peau doit rester humide pour que l’oxygène de l’air se mélange et puisse passer (on dit diffuser) à travers ma peau. Je secrète donc du mucus qui me rend un peu visqueux au toucher mais ça facilite les glissades dans mes galeries.
Juste sous ma peau, j’ai de tous petits vaisseaux sanguins, des capillaires, avec du sang bien rouge qui circule. Rouge, car j’ai de l’hémoglobine dans le sang, presque comme vous. Presque, car nous n’avons pas de globules rouges : notre hémoglobine est une grosse molécule, 50 fois plus grosse que la vôtre, directement en solution dans le sang et capable de capter une centaine de molécules d’oxygène (contre 4 chez vous…) lors de son passage dans les capillaires de la peau.
Le sang des capillaires une fois rechargé en oxygène (et débarrassé du CO2, le dioxyde de carbone, par la même occasion) rejoint le grand vaisseau dorsal où le sang circule vers l’avant. Une demi-douzaine de cœurs latéraux va propulser le sang vers le vaisseau ventral qui va irriguer mes organes (muscles, tube digestif…) et leur amener de l’oxygène (et de la nourriture aussi) en faisant circuler le sang vers l’arrière. En sortant des capillaires des organes, le sang, pauvre en oxygène, rejoint le vaisseau dorsal et circule vers l’avant jusqu’à retrouver les capillaires de la peau et se recharger en oxygène. La boucle est bouclée !
Je vous ai perdu ?
OK, votre peau fine est perméable à l’oxygène et fonctionne un peu comme des alvéoles pulmonaires.
Et quand on dit que si l’on coupe un ver de terre en 2, les 2 moitiés vont repousser et donner 2 vers de terre. Vrai ou faux ?
Faux, faux et archi FAUX !!!
C’est inutilement cruel. Coupés en 2, nos deux moitiés vont continuer à se tortiller pendant un certain temps. Malheureusement, elles ne vont pas survivre très longtemps.
Mais comment croyez-vous que nous soyons constitués ?
Même si ce n’est pas forcément évident à l’œil nu, mes 2 extrémités ne sont pas identiques. Comme vous, j’ai une « tête » et un « derrière ». Une bouche, un cerveau – vous vous êtes demandés pourquoi ? - et j’ai même plusieurs cœurs et enfin, un long intestin qui se prolonge jusqu’à mon extrémité arrière.
La « tête » d'un ver de terre contient ses organes vitaux.
Merci camarade ver de terre, pour toutes ces explications sur votre action quotidienne. Vous nous rappelez qu’on peut être tout petit… et indispensable !
Et vous, chères lectrices et chers lecteurs, nous espérons avoir changé votre regard sur cette espèce, « marqueur de la bonne santé des sols et de la biodiversité » (dixit Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture en 2014)
La disparition des vers de terre est un phénomène aussi inquiétant que la fonte des glaces. Le ver de terre est un bon exemple du fait qu’une toute petite chose à peine visible peut prendre une importance majeure – Hubert Reeves
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Pour aller plus loin :
Bibliographie
Rôle des vers de terre dans la formation de la terre végétale – Charles Darwin - 1881
Eloge du ver de terre – Christophe Gatineau – Editions Flammarion - 2018
Marcel B Bouché – Des vers de terre et des hommes
Vidéos :
https://www.youtube.com/watch?v=qSBPHQ_dKsQ&ab_channel=Brut
C’est pas sorcier : « Vers, seigneurs des anneaux » : https://www.youtube.com/watch?v=-DW5H4xF-4A&ab_channel=C%27estpassorcier
https://www.youtube.com/watch?v=BzDDwGfvY8g&ab_channel=RadioVerdeterre
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Observatoire participatif des vers de terre :
https://ecobiosoil.univ-rennes1.fr/OPVT_accueil.php
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Contact : Service 3D (Développement Durable/Déchets) 04 67 97 90 30 environnement@cdcmc.fr
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